Article paru dans "LE MONDE" - 8 avril 2006
"Il faut réconcilier la société française avec ses entreprises"
Invitée du journal télévisé de TF1, Ségolène ROYAL, cible son intervention sur "les entreprises" et "la société française" avec pour objectif de les "réconcilier"
D'emblée, Ségolène Royal, invitée du journal télévisé de TF1, jeudi 6 avril, a ciblé son intervention sur... "les entreprises" et "la société française" avec, pour trait d'union, cet objectif : les "réconcilier". La présidente socialiste de la région Poitou-Charentes, candidate à l'investiture du PS pour l'élection présidentielle de 2007, poursuit, dans le droit-fil de ses précédentes interventions, une démarche singulière.
Là où ses concurrents socialistes accentuent leur discours à gauche et dénoncent une "crise sociale et politique", elle répond par "crise morale" et "ordre juste". Là où les autres imaginent des plans emplois opposables au contrat première embauche (CPE), elle appelle simplement à "rapprocher les universités des entreprises". C'est au nom des entreprises et de leur "intérêt" qu'elle a d'ailleurs pris des mesures dans sa région pour priver d'aides publiques celles qui utiliseraient des CPE ou des contrats nouvelles embauches (CNE), similaires aux premiers mais réservés aux PME. "Aux entreprises de montrer l'exemple", a-t-elle annoncé sur TF1.
"JE M'OCCUPE DE LA FRANCE"
Pour appuyer son propos, Mme Royal a pris le cas de GDF. "Quand on voit le patron de Gaz de France (Jean-François Cirelli) augmenter son salaire alors que le prix du gaz augmente et que des familles vont basculer dans le surendettement et qu'il annonce en même temps des licenciements, ça ne donne pas un bon exemple de l'entreprise, a-t-elle lancé. Or beaucoup de chefs d'entreprise ont envie de construire la France d'aujourd'hui." L'autre contre-exemple, c'est le premier ministre, Dominique de Villepin. En proposant le CPE, il "a cédé à la frange la plus conservatrice du patronat, qui considère que la flexibilité doit être supportée par les seuls salariés".
Conseillère de François Mitterrand dans les années 1980, Mme Royal n'a rien oublié des leçons de l'ancien chef de l'Etat. C'est lui qui avait lancé, après les nationalisations, la campagne et l'idée de "réconcilier les Français et l'entreprise". Mais elle y ajoute une touche personnelle, version années 2000, en vantant les mérites d'un Tony Blair très contesté dans la gauche française.
"Caricaturer et diaboliser l'autre témoigne en général d'un grand vide de la pensée", s'est-elle défendue dans Le Nouvel Observateur. "J'ai simplement regardé ce que M. Blair avait fait, a-t-elle ajouté. Il a massivement réinvesti dans les services publics. Il a aussi fait baisser le chômage en général, et celui des jeunes en particulier, avec une part de flexibilité, c'est vrai, et la persistance d'un grand nombre de travailleurs pauvres, mais aussi avec un message de dynamisme et de confiance faite aux jeunes, avec une interpellation aux entreprises pour qu'elles leur donnent leur chance et leur confient des responsabilités."
Tout aussi singulière est sa méthode basée sur "l'expertise citoyenne" qu'elle met en avant avec son association Désirs d'avenir et le site Internet du même nom. "Il faut savoir écouter, écouter pour agir juste, a-t-elle déclaré sur TF1. Si on fait l'impasse sur cette phase démocratique qui consiste à respecter les Français, les meilleurs connaisseurs de ce qu'ils vivent et de ce qu'ils attendent, alors les réformes sont considérées comme injustes." Sur le CPE, Dominique de Villepin a ainsi "agi avec beaucoup d'arrogance". "Il croit qu'il détient la vérité tout seul, et ça, dans la France moderne, c'est terminé", a affirmé Mme Royal. Les concurrents ? A droite comme à gauche, elle prétend les ignorer : "Je ne m'occupe pas des adversaires, je m'occupe de la France, de ses souffrances, de ses désordres."
Isabelle Mandraud
Article paru dans l'édition du 08.04.06