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LA VOIE "ROYAL"
13 juin 2006

"Familles, je vous aime" : la doctrine Royal

On la dit volontiers conservatrice sur les valeurs familiales tout en louant son audace sur les questions de société : à première vue, Ségolène Royal est une femme qui cultive les paradoxes. "En réalité, sur la question de la famille, elle a une ligne très claire, précise Claude Martin, sociologue au CNRS. Sa posture est loin d'être traditionaliste - elle ne cherche pas à restaurer la famille d'antan -, mais elle est très attachée aux symboles et elle tient à ce que la famille reste une institution. Libre ensuite aux individus d'inventer leurs modes de vie au sein des cadres qui ont été créés."

Cette doctrine, Ségolène Royal la forge alors qu'elle est ministre déléguée à la famille dans le gouvernement de Lionel Jospin, de mars 2000 à avril 2002. A l'époque, la gauche ne s'intéresse guère à ces questions. "Si l'on met de côté le plafonnement des allocations familiales, le programme du Parti socialiste, en 1997, ne disait pas un mot sur la famille, note Irène Théry, directrice d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales. Il y avait là un vrai déficit de pensée. Au cours de ces années 2000, Ségolène Royal a compris que la famille pouvait constituer un véritable enjeu politique et que l'on pouvait y décliner des valeurs comme l'égalité des sexes, la responsabilité ou la liberté.

Ses moyens sont alors limités : lorsqu'elle est nommée, le 27 mars 2000, elle n'a ni administration ni locaux. On lui trouve un ancien immeuble de l'EDF, avenue Brancion, à Paris, où elle loge une équipe restreinte de collaborateurs. "A côté des gros ministères, qui disposaient d'une administration lourde, nous formions une cavalerie légère, explique Marie-Christine George, une magistrate qui travaillait dans son cabinet. Nous faisions de tout, des dossiers de presse à l'accompagnement du travail parlementaire."

Mme Royal sait qu'elle n'a pas beaucoup de temps devant elle, mais elle tient à prouver que la famille n'est pas une valeur de droite. Pour approfondir les sujets, elle invente les "entretiens de Brancion" : le jeudi après-midi, elle organise, au ministère, un temps de réflexion avec des sociologues, des juristes, des philosophes, des praticiens. "Elle s'installait dans la salle, son carnet à la main, et elle prenait des notes", raconte Irène Théry. C'est au cours de ces journées de réflexion qu'elle élabore sa réforme de l'accouchement sous X : après avoir écouté de nombreux experts, elle décide de maintenir le secret tout en autorisant sa levée, sous certaines conditions, au nom du "droit de l'enfant à connaître ses origines".

Son périmètre est étroit - la politique sociale des allocations, qui est un levier important, n'est pas de son ressort - mais Ségolène Royal veut à tout prix exister. Elle profite de l'effacement de la ministre de la justice, Marylise Lebranchu, pour piétiner sans vergogne les plates-bandes de la chancellerie : malgré l'amertume de la place Vendôme, c'est elle qui engage la réforme de l'autorité parentale du 4 mars 2002. Elle avance avec autorité - avec autoritarisme, disent certains - et garde une idée en tête : montrer que la gauche a quelque chose à dire sur la famille.

Mme Royal tient aux symboles : elle maintient, dans le code civil, l'article issu du code Napoléon de 1804 qui précise que l'enfant, "à tout âge, doit honneur et respect à ses père et mère", elle tente - sans succès - d'instituer dans les mairies une cérémonie solennelle de reconnaissance des enfants par leurs pères et elle leur fait envoyer un livret de paternité blanc orné d'une Marianne afin de les inciter à assumer leur responsabilité.

Mais Ségolène Royal, qui regrette de ne pas s'appeler la ministre "des" familles, veut aussi tenir compte de la transformation profonde des modes de vie : poursuivant une évolution amorcée de longue date, la loi du 4 mars 2002 prend acte de l'augmentation des divorces en proclamant qu'après la séparation, "chacun des pères et mère doit maintenir des relations personnelles avec l'enfant". Au nom de la modernité, le texte met sur le même plan les enfants issus des couples mariés et non mariés - plus de 40 % des enfants naissent alors hors mariage - et inscrit dans la loi une pratique que les parents séparés inventent jour après jour : la résidence alternée.

Dans ce texte, la ministre offre pour la première fois un cadre juridique à la "pluriparentalité" : elle instaure des délégations d'autorité parentale pour les "tiers dignes de confiance" en songeant notamment aux beaux-parents, que les textes d'alors ignorent. " Notre modèle de filiation était pensé autour des figures exclusives des père et mère, alors que d'autres adultes contribuent aujourd'hui à l'éducation des enfants, résume la sociologue Irène Théry.

Elle a compris qu'il était important de reconnaître la complexité des trajectoires biographiques des enfants."

"PARENT SOCIAL"

Savait-elle, à l'époque, que cette disposition serait largement utilisée par les couples homosexuels, qui y ont vu un moyen de consolider les liens de l'enfant avec le "parent social" ? "Elle ne pouvait l'ignorer, même si elle s'est bien gardée de le dire publiquement à l'époque, remarque Alain Piriou, le porte-parole de l'Inter-LGBT, qui organise tous les ans la Marche des fiertés. Nous avions été reçus au ministère avant le débat parlementaire et nous en avions discuté très ouvertement avec son cabinet."

Au cours de ces deux ans, Ségolène Royal tente également de consolider les droits des pères, que les mutations récentes de la famille ont plutôt fragilisé. En 2001, elle annonce ainsi la création d'un congé de paternité de quatorze jours. "C'est peut-être la mesure la plus importante, estime la sociologue Dominique Méda.

En incitant les pères à s'investir très précocement auprès des enfants, le congé de paternité marque le début d'une logique de redistribution des rôles entre les pères et les mères. C'est en tirant ce fil que l'on peut progresser sur les inégalités professionnelles hommes-femmes, qui souvent prennent racine dans la sphère privée."

Anne Chemin

Article paru dans l'édition du 11.06.06

LE MONDE | 10.06.06 | 14h40  •  Mis à jour le 10.06.06 | 14h40

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Commentaires
M
D'accord avec Stéphane ! Existe-t-il une section aixoise de "désirs d'avenir" ? Merci pour votre façon de repenser le politique !
S
La famille n'est ni de droite ni de gauche. Ce thème appartient à tout le monde. Et Ségolène a raison de s'intéresser à cet élément très important de notre société et d'en proposer une lecture intelligente, nourrie des mutations récentes.<br /> Madame Royal ose confronter le socialisme au réel. Cela déplaît à certains qui préfèrent, par posture idéologique ou esthétique, se voiler la face et en rester aux discours.<br /> Je me réjouis de cette audace et de ce sens de la justice sociale que porte Madame Royal : c'est la raison pour laquelle je soutiens sa candidature !<br /> ( même si je la soutiens plus devant mon poste de télé à la maison ou dans des repas avec les copains, car j'ai "séché" les dernières réunions de la section niçoise de désirs d'avenir, retenu que j'étais par mon travail. J'espère qu'il y aura bientôt d'autres occasions pour s'engager).<br /> Amitiés<br /> Stéphane.
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