SARKOZY ET LA PRESSE... CE QUE L'ON DOIT SAVOIR
Mainmise sur la presse tricolore |
LIAISON DANGEREUSE Depuis 2002, Nicolas Sarkozy a placé des hommes à lui dans presque toutes les rédactions parisiennes, dans la presse écrite comme dans la presse audiovisuelle |
PARIS - IAN HAMEL |
27 janvier 2007 |
Les Français ne connaissent pas la société audiovisuelle ETC (Etudes, techniques et communication). Pourtant, ils ne cessent de voir ses productions à la télévision. C'est La société ETC la foule. Nicolas Sarkozy Maire de Neuilly, dans la région parisienne, et président des Hauts-de-Seine, le département le plus riche de France, Nicolas Sarkozy courtise de longue date les patrons de presse, qui sont souvent ses administrés, comme autrefois Robert Hersant, propriétaire du Figaro et de 30% de la presse française, et aujourd'hui Martin Bouygues, le patron de TF1, dont le journal télévisé est regardé par 8 millions de personnes. «Il est non seulement l'ami des patrons de presse, mais il est aussi l'ami des rédacteurs en chef et des chefs des services politiques qu'il appelle tout le temps au téléphone. Sarkozy s'est aussi constitué une cour de sans-grade qui espionnent pour lui à l'intérieur des rédactions, recevant en compensation des informations exclusives ou des promesses de promotion», raconte un enquêteur connu de la presse parisienne. «On montre du doigt le magazine Le Point pour ses 10 couvertures consacrées à Nicolas Sarkozy ces derniers mois. Le problème, c'est que ces 10 couvertures ont bien vendu. Les journalistes qui ne sont pas sarkozystes ne peuvent pas reprocher ce choix journalistique à leur direction», souligne François Malye, président de la Société des rédacteurs du Point. |
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© Le Matin Online |
Comment Sarko met la presse sous pression
NOUVELOBS.COM | 29.01.2007 | 15:09
Tantôt charmeur, tantôt menaçant, le président de l’UMP est un expert en relations Médiatiques. Depuis des mois, il sature colonnes et écrans. Décryptage.
Et soudain, c’est comme si la Terre s’arrêtait de tourner. Avant, pendant et après il n’y a plus que lui. Son sacre, le 14 janvier porte de Versailles, son score, son émotion, son discours. Pendant cinq jours, Nicolas Sarkozy a régné sans partage sur les médias. Le jour J, "le Journal du dimanche" titrait même: "Tout commence aujourd’hui". Sans autre explication. Si ce n’est pas la gloire, cela y ressemble. Couvertures de presse à profusion, retransmission intégrale du couronnement sur les chaînes d’info, invitation au 20-heures de TF1… Et ces accréditations de journalistes, délivrées jusqu’au matin même: plus de 800, dont la moitié d’étrangers. Même ceux qui ne sont pas directement en charge d’une rubrique politique ont voulu assister à l’événement. Et, de l’autre côté du poste, le spectacle, soigneusement réalisé par les caméras de l’UMP, dont les plans sur la larme de Micheline Chaban-Delmas ou le profil d’Edouard Balladur ont été repris sans sourciller par toutes les chaînes…
Sarko président? Pas encore. Mais Sarko empereur du microcosme médiatique, c’est déjà fait. Pourtant l’intéressé ne cesse de râler contre le mauvais traitement qui lui est infligé. Il serine que "les trois quarts des médias sont contre [lui]". Il se souvient, avec rancune, de toutes les unes qui ne l’ont pas encensé… Les dix couvertures que "le Point" lui a consacrées en vingt mois (contre quatre à Ségolène Royal) ou ce Sarkozy en majesté à la une de "Paris Match" – "Un destin en marche" – ne lui suffisent pas. Ou bien est-ce là une simple rouerie pour vaincre les dernières résistances? Côté télé, Jean-Claude Dassier, le patron de LCI, ne cache pas à ses équipes qu’il rêve de voir Sarkozy élu président. France 2, avec un "Sarkothon" ("A vous de juger", pour le vrai titre) de près de trois heures, remporte le pompon. Programmé juste avant que les règles du CSA empêchent de donner autant de temps à un seul! Déjà, après les émeutes en banlieue de 2005, Sarkozy avait eu droit à une spéciale mettant en scène des contradicteurs qui ne risquaient pas de le mettre en difficulté.
Mais les exemples sont rarement aussi flagrants, et on n’a pas encore trouvé la méthode pour calculer le niveau de sarkozysation des médias. Simplement, une succession d’indices troublants finit par camper un paysage. Fin septembre, 220 policiers font une descente dans la cité des Tarterêts. Ils arrêtent 12 personnes suspectées d’avoir violemment tabassé deux CRS. Ce spectacle, orchestré sous l’œil des caméras, ouvre tous les journaux télévisés. Trois jours plus tard, le "guet-apens" invoqué au début est récusé par les enquêteurs et 7 des 12 personnes arrêtées sont disculpées. France 3 traitera l’épilogue en grand, Jean-Pierre Pernaut, sur TF1, l’expédiera en huit secondes chrono, PPDA attendra… sept jours, l’occasion d’une autre descente, pour l’évoquer. En sous-estimant le phénomène Ségolène, de nombreux médias ont aussi – en creux – favorisé son concurrent. Le directeur de la rédaction de la Tribune – un journal qui appartient au milliardaire Bernard Arnault, proche de Sarkozy – a ainsi fait sauter un sondage qui avait le tort de placer la candidate socialiste en tête pour "résoudre les problèmes économiques et sociaux de la France".
Tous les journalistes ne sont pas sous le charme – et le "problème Sarko" est une question sensible dans pas mal de rédactions: journée de grève à "Paris Match", motion de censure à la Tribune, tracts syndicaux dans les chaînes publiques. Seulement, Sarkozy a organisé son omniprésence, il sature volontairement l’espace médiatique. Quand ce n’est pas le ministre de l’Intérieur qui fait l’actualité, c’est le président de l’UMP ou le candidat à la présidentielle. Le la sécurité. Et
Sarkozy a compris que cette profession travaille dans l’urgence. "Deux ou trois types, autour de lui, peuvent parler en son nom. Notamment son chargé de communication, Franck Louvrier, qui rappelle tout de suite", poursuit Leclerc. Et, délicate attention, depuis la rentrée la maison UMP
Bien sûr, certains, en ménageant un futur président potentiel, jouent le coup d’après. D’autant que Sarkozy est doté d’une surmémoire: les faits peuvent dater, il vous les resservira sans relâche. Dans la hiérarchie des représailles, il y a d’abord cette manière de prendre publiquement les gens à partie. Lorsque, devant un parterre d’HEC, le directeur de la rédaction de Challenges, Vincent Beaufils, l’interroge, il le cueille sur un numéro paru neuf mois plus tôt: "Challenges, vous avez dit? C’est ce journal qui a fait cette célèbre couverture: “Pourquoi Sarko fait-il peur?” Eh bien, vous ne manquez pas de courage de m’affronter comme cela!" La salle ricane. En octobre dernier, sur les ondes de France-Inter, il lance dès le début de son interview au journaliste Nicolas Demorand, qui pilote depuis peu la tranche matinale: "Ah, ben, vous êtes aussi bon journaliste qu’on me l’a dit, alors! – C'est-à-dire? – Vous êtes le contraire de cette journaliste russe, courageuse, qui voyait tout [Anna Politkovskaïa venait d’être assassinée]. Donc vous ne voyez rien…" Fin novembre, il a même asséné gratuitement une leçon de journalisme à Patrick Poivre d’Arvor sur le plateau du 20-heures: "J’ai regardé le Journal de TF1 où vous avez interviewé – c’est un grand mot! – Mme Royal, et l’art avec lequel elle n’a répondu à aucune de vos questions."
Il y a plus violent. Lui et les siens savent faire planer une forme d’intimidation, voire de menace. En riant… bien sûr. Recevant la rédaction du Parisien, le premier flic de France interpelle ainsi l’auteur d’articles sur ses déboires conjugaux: "Moi aussi, je sais des choses sur votre vie privée…" Il insiste: "Moi aussi, je pourrais en dire, des trucs…" Et il y a l’autre version, glaciale celle-là, expérimentée par notre confrère de l’Obs, Hervé Algalarrondo, sur qui Sarkozy a par deux fois pointé publiquement un index vengeur: "Je ne l’oublierai pas! Je ne l’oublierai pas!" Quoi donc? Le numéro titré "Sarko secret", qui lui avait déplu.
Le 1er mars dernier, il vient au "Grand Journal". Canal+ le voit débarquer "blême et fou de rage", selon un témoin, harponner Rodolphe Belmer, directeur général, et lui asséner un "coup de boule psychologique". Tout, à Canal+, l’énerve: "les Guignols", "7 Jours au Groland", "la Matinale", Ardisson… Ce jour-là, c’est une micro-phrase de Michel Denisot dans le Parisien qui l’a mis en rage. L’animateur prend ses distances avec son invité: "J’avais fait un livre avec lui […]. Il n’est plus vraiment le même, et je n’ai pas gardé de relation." Il faut préciser que Sarkozy avait instrumentalisé sa venue au "Grand Journal". Il avait " dealé ", sans y associer Canal+, une couverture de TV Magazine (5 millions d’exemplaires!) en imposant sa mise en scène. La chaîne avait résisté puis, face au chantage, plié. Avec cette impression diffuse que s’il se retrouve à l’Elysée tout cela pourrait se payer. Alors, parfois, certaines rédactions prennent les devants. Pour ne pas avoir relayé son interview sur le droit de vote des immigrés, un rédacteur en chef de LCI a été convoqué par sa direction.
Avant l’été, sur TF1 et LCI, Sarko était à toutes les sauces. Mais depuis la rentrée cette sarkomania s’est atténuée. "Bien sûr, ce genre de choses ne se discute pas en conférence de rédaction, note une fine mouche du groupe, mais on saisit que la ligne éditoriale a été infléchie, à de subtils indices: ouverture du Journal, hiérarchie des sujets, traitement…" Parce que le CSA, qui institue l’équité du traitement entre les candidats, veille. Et aussi parce que les incertitudes du scrutin incitent la chaîne à la prudence. "TF1 ne sera pas sarkozyste comme elle a été balladurienne en 1995, confie l’un de ses membres, cela nous a trop poursuivis." Autrement dit, ne faisons pas trop de zèle, c’est ainsi qu’on servira le mieux les intérêts du groupe, mais aussi ceux de Sarkozy. Les dirigeants traquent tout ce qui les fait passer pour "Télé-Sarko ". "Dans un sketch des Guignols, Sarko désignait la tour de TF1 d’un “Et là, c’est ma chaîne de télé.” On a reçu, les uns ou les autres, des coups de fil de TF1, note un cadre de Canal+. Pourtant ils se font souvent étriller et, d’habitude, ne réagissent pas." Selon un sondage TNS-Sofres, TF1 est perçue par 37% des Français comme la plus orientée à droite. Du coup, elle fait attention. Les chiffres l’attestent. En décembre, selon le CSA, France 2 a
En fait, Nicolas Sarkozy a conçu un système de tenaille inédit et diablement efficace. Au sommet des principaux médias, il compte nombre d’amis intimes dans le club des propriétaires: Martin Bouygues (TF1, LCI), Bernard Arnault (la Tribune, Radio-Classique), Arnaud Lagardère (Europe 1, Paris Match, le Journal du dimanche, plusieurs quotidiens régionaux)… Quand on dit "ami intime ", ce ne sont pas que des mots. En 2004, Sarkozy dénoue les problèmes d’héritage d’Arnaud Lagardère, et ce dernier désigne publiquement son bienfaiteur comme "un frère". Il l’a prouvé en licenciant Alain Genestar: le directeur de la rédaction de "Paris Match" avait publié en une la photo de Cécilia Sarkozy avec son amant, sans prévenir son patron. Lagardère a justifié officiellement la sanction par une baisse des ventes, mais "off the record" il expliquait depuis des mois que la confiance était irrémédiablement rompue entre Genestar et lui. Le fait est donc là: un grand patron de média a pris le risque d’abîmer son fonds de commerce – si l’on admet que l’indépendance est un actif important – pour complaire à Nicolas Sarkozy. Les rédacteurs en chef de ses autres journaux savent quelle peut être la sanction s’ils s’en prennent eux aussi au candidat…
Au sommet des rédactions, aussi, Sarkozy a son réseau: les vacances au Pyla sont des occasions de fréquenter en privé Jean-Claude Dassier (LCI), dont le fils est d’ailleurs le conseiller internet de l’UMP. Ou encore le voisin d’Arcachon, Nicolas Beytout, directeur du Figaro. Jean-Marie Colombani (le Monde) est aussi un ami, si l’on en croit son ancien adjoint Edwy Plenel, qui relate ainsi un rendez-vous à trois : "J’en suis ressorti avec le sentiment d’avoir été un intrus(1). " Et comme la vie est bien faite, l’Agence France Presse est dirigée par Pierre Louette, ancien conseiller de Balladur, dont Sarkozy était lui-même ministre. Louette jure n’avoir pas eu un seul contact avec le ministre – ou ses proches – depuis son arrivée à l’Agence il y a trois ans, mais sa présence suffit à rassurer la Place-Beauvau. Toutes
Cette porosité avec les décideurs s’accompagne d’une incroyable intimité avec la base. Avec
Véronique Groussard et Claude Soula
Notes: (1) Lettre adressée à "Marianne" le 18 mars 2006.
(Cet article est publié dans le Nouvel Observateur daté jeudi 25 janvier 2006