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LA VOIE "ROYAL"
24 novembre 2008

Schisme électoral au Parti socialiste, par Michel Noblecourt

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LE MONDE | 24.11.08 | 13h24  •  Mis à jour le 24.11.08 | 13h24

uarante-deux voix d'écart, sur un total de 134 784 suffrages exprimés, ont donc permis à Martine Aubry, samedi 22 novembre, au lendemain d'une nuit de folie, de préempter les conclusions de la "commission de récolement", qui devait se réunir lundi 24 novembre, en proclamant qu'elle serait "le premier secrétaire de tous les socialistes". Deux heures après, Ségolène Royal, s'exprimant sur TF1, contestait cette autoproclamation et lançait, bravache : "Je vais sans doute gagner demain." Selon le résultat "connu" mais non "validé" du scrutin, la maire de Lille a obtenu 50,02 %, et l'ancienne candidate à l'élection présidentielle, 49,98 %. Quasi-égalité, match nul.

Même si, au vu des contestations qui se multiplient, le résultat était inversé et Mme Royal, comme l'annonçaient plusieurs de ses partisans dimanche 23 novembre, portée avec le même écart à la direction du PS, l'effet serait le même. Aucune première secrétaire du PS ne peut gouverner le premier parti de l'opposition en étant privée de la moindre légitimité électorale. Au vu de la promptitude avec laquelle la maire de Lille s'est emparée de la "victoire" que lui annonçaient ses amis, et de la détermination du camp de la présidente de la région Poitou-Charentes, qui est bien décidée à ne pas s'incliner, le PS est confronté à un véritable schisme électoral. Au lendemain du désastreux congrès de Reims, qui a amplifié sa crise d'identité, voilà qu'il bâtit un invraisemblable scénario "à la floridienne" - où on a compté et recompté, en 2000, pour départager Al Gore et George Bush - qui ne fait qu'aggraver sa crise de leadership.

Lorsque, en 1995, Lionel Jospin a instauré l'élection du premier secrétaire au suffrage direct des militants, le deuxième tour était prévu en cas de ballottage pour l'élection de premiers fédéraux. La logique de ce système très présidentiel voulait que le candidat au poste de premier secrétaire soit issu de la motion majoritaire au congrès l'ayant précédé. Pour le "patron" national du PS, cette formalité rendait le second tour inimaginable. L'hypothèse se vérifia : seul François Hollande eut à affronter un adversaire et l'emporta au premier tour.

Le congrès de Reims a brisé la belle mécanique. Aucune majorité n'est sortie de la "ville aux mille sourires". Aucune synthèse n'a été trouvée. Quel qu'il soit, le successeur de M. Hollande se voyait promis à la cohabitation avec le conseil national, le parlement du PS. Et les militants ont imposé un deuxième tour, qui a eu lieu dans l'improvisation le lendemain - alors que, dans une élection législative, il y a une semaine d'écart -, sans même que les résultats du premier tour soient validés... Les deux candidates n'ont même pas pu faire campagne.

La suite de ce feuilleton mortifère pour le PS est encore plus baroque. C'est le conseil national qui, au vu des conclusions de la "commission de récolement" - qui ne fera sans doute qu'acter les désaccords entre les partisans de Mme Aubry et ceux de Mme Royal -, va choisir la première secrétaire. Toutes proportions gardées, c'est comme si, à l'issue du deuxième tour d'une présidentielle où il y aurait une stricte égalité, on demandait au Parlement de désigner le vainqueur ! Mme Royal étant minoritaire au sein du conseil national - avec 29,08 % -, on peut imaginer que sa cause est perdue. Sauf que le "tout sauf Ségolène" qui faisait dire à ses artisans qu'il regroupait 70 % des militants n'a pas fonctionné. Au premier tour, Mme Royal a eu 43 %, et au second elle a frôlé - et peut-être dépassé - les 50 %, empochant une bonne part des voix de Bertrand Delanoë et de jeunes électeurs de Benoît Hamon partisans de la rénovation.

UN RISQUE D'INGOUVERNABILITÉ

La logique politique voudrait donc que le conseil national - où Mme Aubry n'a que 24,32 % - tienne compte de ces nouveaux rapports de forces dessinés par les militants dans les urnes. La dérive suicidaire dans laquelle le PS semble engagé ne fait pas de ce scénario le plus probable. Encouragée par les lieutenants de ses alliés, Claude Bartolone pour Laurent Fabius et Jean-Christophe Cambadélis pour Dominique Strauss-Kahn, qui font de sa "victoire" le signe de la réconciliation entre fabiusiens et strauss-kahniens..., Mme Aubry n'est pas prête à jeter l'éponge. Mais, en face, Mme Royal réclame un nouveau vote et envisage, si elle n'a pas gain de cause, de saisir le tribunal administratif...

Le schisme électoral n'annonce pas fatalement une scission du PS, mais il va rendre le parti ingouvernable. Si Mme Aubry est confirmée, elle n'aura pas de vraie légitimité et aura emporté une victoire à la Pyrrhus dont le coût politique risque de s'avérer très lourd. Pour la première fois, ce sera alors la dirigeante d'un courant minoritaire au conseil national qui sera la "patronne" des socialistes. C'est un peu comme si, après le congrès de Metz, qui, en 1979, avait vu s'affronter la "première gauche" de François Mitterrand et la "deuxième gauche" de Michel Rocard, ce dernier, à la tête d'une motion pourtant minoritaire, avait pris le contrôle du PS.

Autre difficulté pour la fille de Jacques Delors : elle est à la tête d'une coalition dont l'hétérogénéité, déjà forte à l'origine, n'a fait que se renforcer depuis Reims. Au départ, la maire de Lille était entourée - pour ne pas dire encerclée - par les fabiusiens, une poignée de strauss-kahniens et les partisans d'Arnaud Montebourg. Au lendemain de Reims, après avoir refusé toute alliance au congrès et l'avoir accusée de porter la responsabilité de son propre échec, M. Delanoë a jeté la rancune à la rivière et l'a rejointe. Le maire de Paris a apporté dans la corbeille de mariage M. Jospin et M. Rocard.

Si elle a été élue, Mme Aubry - qui n'a récupéré que 9 points sur les 25 % de M. Delanoë -, c'est grâce au renfort des amis de M. Hamon, à savoir Henri Emmanuelli, Paul Quilès, Marie-Noëlle Lienemann, Gérard Filoche. De Jospin à Montebourg, de Rocard à Emmanuelli, de Fabius à Delanoë, voilà une étrange coalition qui fait penser au congrès de Liévin, en novembre 1994. A la tête du PS, M. Emmanuelli avait alors fait adopter - à 92,15 % ! - une ligne "à gauche toute"... tout en demandant à M. Delors de "faire son devoir" et d'être candidat à l'élection présidentielle.

Ce mariage des contraires, rassemblant des écuries qui se sont toujours combattues dans l'histoire du PS, n'était pas une assurance de bonne gouvernabilité. Avec une élection plus qu'étriquée, c'est une garantie d'ingouvernabilité. Sauf à réorganiser un troisième tour dans la transparence, le PS ne se sortira pas de cet inextricable schisme électoral. Plus qu'en 2005, lors des déchirements sur le référendum européen, rôde la menace d'implosion.


Courriel : noblecourt@lemonde.fr.


Michel Noblecourt (Editorialiste)

Article paru dans l'édition du 25.11.08

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