Libération 19 avril
Présidentielle
Au sein de la fabrique Ségolène Royal
La députée PS des Deux-Sèvres esquisse prudemment son programme qui emprunte à la gauche mais aussi au centre droit.
par Didier HASSOUX
Ni droite, ni gauche, Royal. De plus en plus candidate à la candidature, la députée socialiste des Deux-Sèvres dispose d'ores et déjà d'un programme électoral. Elle le délivre au compte-gouttes, sans doute par peur de déclencher l'ire de ses concurrents socialistes. Adepte de la «cyberpolitique» (elle écrit un ouvrage programmatique avec ses internautes), la présidente de Poitou-Charentes est surtout une redoutable praticienne du «copier-coller». Comme nombre d'hommes politiques. Cette astuce du B.A.BA informatique qui permet, en deux manoeuvres, de piquer tout ou partie d'un texte pour se l'approprier. Pierre Méhaignerie devrait ainsi légitimement lui réclamer des droits d'auteur. En effet, contrairement à ce que ses proches laissent croire, ce n'est pas Ségolène Royal qui a inventé ce qui est devenu son étendard : ses «désirs d'avenir» (1). C'est bien l'actuel président (UMP) de la commission des Finances, proche de Nicolas Sarkozy, qui en est l'auteur. Le député d'Ille-et-Vilaine a utilisé la formule en 1998.
«Ordre juste». Royal n'a pas non plus été chercher bien loin la notion d'«ordre juste», dont elle use lors de chaque prestation médiatique. En fait, l'expression qui dans sa bouche est la synthèse entre la droite (l'ordre) et la gauche (la justice) a été employée pour la première fois par un autre socialiste. En l'espèce, le député de Paris, lieutenant de Dominique Strauss-Kahn, Jean-Christophe Cambadélis, qui l'avait utilisée dans un des éditoriaux de sa lettre Socialisme et Démocratie. C'était en décembre 2004. Ce n'est pas le seul emprunt de Ségolène Royal aux amis de DSK. Après tout, ils sont socialistes et revendiquent l'appartenance à la même famille social-démocrate. L'ancienne ministre a ainsi piqué à Strauss-Kahn la notion d'«égalité réelle», qu'il oppose à celle très sarkozyste de «discrimination positive». Dans le Nouvel Observateur du 13 avril, la compagne de François Hollande assure «préférer l'égalité réelle à la discrimination positive». Sans être hostile aux quotas. DSK avait théorisé ce concept dans la lettre de la fondation Jean-Jaurès de mars 2004.
Mais il n'y a pas que la gauche ou le centre qui inspire Ségolène Royal. La droite aussi. Ainsi, la députée des Deux-Sèvres trouve également des idées dans les travaux de l'institut Montaigne, que conduit Philippe Manière. Le 21 novembre, elle a ainsi échangé avec le libéral et «déclinologue» Nicolas Baverez. Avant qu'éclate la crise autour du CPE, elle professait : «Il faut donner davantage de libertés. En effet, il faut mettre fin à un certain nombre d'archaïsmes en matière de réglementations.» Et de citer en exemple Tony Blair. Selon elle, le Premier ministre britannique, «grâce à une politique courageuse», a permis de «réduire le chômage chez les jeunes et les plus de 50 ans parce qu'il a dit aussi aux entreprises : "Faites confiance aux jeunes, payez-les correctement, reconnaissez la valeur de leur diplôme, donnez-leur des responsabilités." Et qu'en même temps il a massivement investi dans les services publics, dans l'éducation et dans la recherche».
Six semaines plus tard, dans un entretien au Financial Times, elle confirmera cette recherche de troisième voie, de social-libéralisme : «Nous ne devons être bloqués sur aucun sujet, affirme-t-elle au quotidien le 2 février. Comme les 35 heures par exemple.»
String à l'école. Cette chasse au dogme, Ségolène Royal la pratique depuis quelque temps déjà. En 1997, ministre déléguée à l'Enseignement scolaire, elle refusait d'agir en vertu d'un clivage traditionnel droite-gauche, préférant réagir en mère de famille, élevée dans la tradition catholique. Même si elle s'en est échappée. Ainsi, prenant prétexte d'une publicité pour des sous-vêtements, elle dénonce le port ostentatoire du string à l'école. Ce qui ne l'empêche pas, quelque temps plus tard, d'autoriser les infirmières scolaires à délivrer la pilule du lendemain dans les collèges et les lycées.
«Un père, une mère». Malheureusement pour elle, cet entre-deux ne la préserve pas de verser dans les contradictions. Ainsi le 23 février, elle «dialogue» avec des lecteurs du Parisien. Elle assure s'être «toujours refusée à instrumentaliser les questions de société pour faire "dans le coup". [...] La famille, c'est un père et une mère». C'est-à-dire un couple hétérosexuel.
Dix jours plus tard, elle est en campagne électorale à Rome aux côtés de Romano Prodi. La candidate lance alors aux gauches italiennes : «La droite parle de la famille. Tandis que la gauche parle des familles dans leur diversité, recomposées, homoparentales, homosexuelles.» De quoi y perdre son latin.
/P>
(1) desirsdavenir